• L'histoire du rail en Pays Gentiane

    Lors de l'établissement des premières voies ferrées dans le Massif Central, la partie centrale du département du Cantal était bien délaissée par le rail.

    Dès 1871, les parlementaires cantaliens réclamaient la réalisation d'un itinéraire de BORT à NEUSSARGUES par CONDAT et ALLANCHE. Mais ce n'est que vingt ans plus tard que le principe de cette ligne fut définitivement acquis. La déclaration d'utilité publique intervint en août 1892. A la même époque, une liaison FELLETIN -USSEL - BORT - NEUSSARGUES était étudiée. La liaison USSEL - BORT n’a jamais été réalisée vu les faibles bénéfices attendus. C'est peut-être dommage car si cette ligne avait emprunté un itinéraire autre que la vallée de la Dordogne, peut-être le "Parisien" continuerait-t-il à passer entre BORT et NEUSSARGUES.

    Les parlementaires ont certes agi pour que cette desserte voie le jour mais ce sont surtout les gros intérêts économiques qui ont été déterminants. Notamment le transport des vins du Languedoc vers Paris. C'est en effet, au cours du XIX° siècle que les Parisiens, qui, jusqu'alors, ne buvaient que du vin de leur région, virent apparaître les vins du Midi (la consommation de vin de la région parisienne a, paraît-il, été multipliée par 6 entre 1840 et 1900).

    Il est bon de rappeler, qu'à l'époque, la France ferroviaire était partagée en “réseaux”. Le Massif Central était desservi par le PARIS-ORLEANS (P.O.), le PARIS-LYON-MEDITERRANEE (PLM) et le MIDI. Il s'agissait là de compagnies privées qui cherchaient avant tout la rentabilité de leurs installations.

    Le transport du vin apportait à chaque réseau une ressource proportionnelle au nombre de kilomètres. C'est ainsi que la ligne BORT-NEUSSARGUES qui rejoignait la ligne MONTLUÇON -EYGURANDE-BORT (terminée en 1887) a été concédée au P.O. lequel espérait créer ainsi à travers le Massif Central la liaison Nord-Sud la plus courte.

    Compte tenu du relief, le tracé de cette ligne n'était pas évident. Trois projets ont été étudiés, le premier par CHAMPS, la Vallée de la Rhue, SAINT-AMANDIN, CONDAT, MARCENAT, LANDEYRAT et ALLANCHE. le second par VEBRET, MENET, RIOM, MARCHASTEL, LUGARDE, SAINT-BONNET et ALLANCHE, le troisième devait emprunter les vallées de la Rhue et de la Santoire pour aboutir à MURAT.

    A l’époque, les polémiques n’ont pas manqué, les langues allaient bon train et bien entendu, le tracé avait été choisi du fait de l’influence de telle ou telle personnalité, prétendue avoir le “poids nécessaire" pour intervenir auprès de l’état et de ses réseaux de chemins de fer. En fait, les études ont été dominées par le souci de distances courtes : le tracé adopté devra être inférieur à 75,17 km pour que BEZIERS-PARIS par BORT soit inférieur aux 804 km de l’itinéraire PLM par ARVANT. Le premier tracé de 74,43 km se rapprochant trop du kilométrage litigieux a été écarté au profit du second d’une longueur de 71,300 km.

    J’ai l'impression que le même phénomène se renouvelle au sujet du tracé de la nouvelle route BORT-RIOM-MURAT. Chacun ayant sa propre conviction que M. X ou M. Y a une influence prépondérante pour ce tracé. Il est rarement question ni de sa longueur, ni des difficultés techniques de réalisation.

    Les difficultés de construction n’ont pas manqué, la ligne étant tracée dans des vallées fort escarpées et escaladant des hauts plateaux. Les déclivités sont comprises entre 20 % et 30 %, la partie la plus difficile à ce point de vue est comprise entre la gare d’ANTIGNAC-VEBRET ET LE COL D'EMBESSE, séparées par une dénivellation de 352 m sur une distance de 12 km.

    La réalisation a exigé la construction de cinq viaducs importants dont celui de BARAJOL (entre RIOM et CONDAT) qui est un chef-d’oeuvre de maçonnerie, quatre tunnels et des courbes et rampes importantes. Il est évident que des conditions de vitesse étaient imposées aux conducteurs.

    En 1925 il fallait deux heures et demi environ, pour effectuer les 71 km entre BORT et NEUSSARGUES.

    Les conditions climatiques du Cézallier ont rendu difficile l’exploitation de cette ligne. Les 45 km situés au-dessus de 850 m sont souvent enneigés. Et malgré un matériel de déneigement important, quelques périodes d'interruption du trafic ont eu lieu au cours des hivers 44-45, 51-52 et plus près de nous, en décembre 1980 où des congères de 5 m de haut s’étaient formées au col de Clavières.

    La ligne a été ouverte le 2 décembre 1907 de BORT à RIOM et de NEUSSARGUES à ALLANCHE. La partie centrale sera terminée en 1908 et inaugurée par le Ministre des Travaux publics le 5 juillet.

    Le relief accidenté de cette région, le manque de ressources minières n’ont pas favorisé l’implantation d’industries importantes, de ce fait le trafic de marchandises a toujours été très faible (moins de 200 tonnes par jour ouvrable). Et les vins ? Et bien, ils n’y ont pratiquement jamais passé du fait des mauvaises conditions d’exploitation. Ainsi la ligne BORT-NEUSSARGUES est le type même de ligne construite artificiellement par intérêts économiques (qui n’ont pas vu le jour) étrangers à la desserte locale.

    Il faut quand même savoir que notre gare a eu une activité très importante en ce qui concerne le trafic marchandises. Notamment lorsque le PO mit en construction l'usine hydroélectrique de COINDRE sur la Rhue. Les pièces et les matériaux nécessaires à la construction ont en grande partie été acheminées par "ANTIGNAC-VEBRET".


    Les interventions du Conseil municipal

    La Compagnie d’Orléans, soucieuse d’exploiter le charbon du bassin de CHAMPAGNAC-LES-MINES, réalisa et mit en service en 1882 la ligne EYGURANDE-BORT-LARGNAC. La jonction avec MAURIAC eut lieu l’année suivante. En septembre 1893, le conseil constatant que cette ligne traverse le territoire de la commune demande qu’un arrêt ou une station soit créé à CHEYSSAC pour faciliter l’accès à BORT, prétextant, en outre, qu’il était inadmissible que la commune d’Ydes ait 3 gares rapprochées : SAIGNES, CHAMPAGNAC-LES-MINES et LARGNAC.

    En novembre 1897, commencent les discussions relatives au tracé BORT-NEUSSARGUES. La commune qui avait été sollicitée, répond qu'elle ne peut contribuer, ni en argent, ni en terrain pour le passage du chemin de fer. Le mois suivant, nos élus avaient réfléchi et voyaient enfin l'intérêt de cette ligne qui suivant le méridien de PARIS serait la plus directe pour joindre la capitale à BARCELONE. Une halte est demandée à Cheyssac, et la gare au village de Drulh. Le tracé adopté, les travaux engagés, le Maire est informé du nom de notre station. Dans la séance du 16 juin 1907, il est dit : “Le Maire expose que le nom proposé pour la station est “ANTIGNAC-VEBRET”. Cette dénomination est considérée comme une déchéance pour la commune. Compte-tenu que la commune de VEBRET est plus importante que celle d’Antignac, que la station est construite sur la commune de VEBRET, il n’y a aucune raison de donner la prééminence à ANTIGNAC, le conseil émet le voeu que la station prenne le nom de “VEBRET” ou, à la rigueur, celui de “VEBRET-ANTIGNAC”. Le Ministre des Travaux Publics saisi de cette protestation n’a pas jugé bon de donner satisfaction. En fait, c'est probablement le seul cas, sur cette ligne, où la dénomination ne tient compte ni de l’implantation territoriale, ni de l’importance des communes desservies.


    Les trains "Bonnet"

    Louis BONNET, créateur de “l’Auvergnat de Paris” a été un précurseur dans ce qui est appelé de nos jours “voyages organisés”. C’est en 1904 qu’il obtint des compagnies P.O. MIDI et PLM, des tarifs réduits pour des trains spéciaux empruntant leurs lignes. Ces réductions étaient importantes : 40 % pour un aller et retour.

    Le premier train prit son départ de Paris le 21 juin 1904. A partir de BORT (par MAURIAC), il s'arrêtait à toutes les gares et la moitié des voyageurs allaient jusqu’à AURILLAC où les attendaient les “Courriers” pour MONTSALVY, ENTRAYGUES, MUR DE BARRES, SAINTE-GENEVIEVE, etc... Une billetterie spéciale avait été installée au siège de “l’Auvergnat de Paris” et deux billets gratuits étaient prévus pour les cabrettaires qui animaient le voyage. Ces trains ont eu un énorme succès, ils ont circulé jusqu’en 1939 avec une interruption pendant la première guerre.

    Après les élections du “Front Populaire” et les accords sur les congés payés en 1936, ils sont devenus les trains des Vacanciers Auvergnats. Certains se souviennent de la circulation de ces trains. Ils passaient un peu avant “l’express” de Paris (la liaison Paris-Béziers s’effectuait par Bort et par Neussargues). Ils avaient, certes, un aspect un peu vieillot avec leurs wagons aux huit portières d’accès, leur marche-pied et les gros numéros indiquant les classes (beaucoup de nos compatriotes voyageaient en 3° classe avec un confort tout relatif).


    Un cantalien, M. A. JACOMY, a fait appel à sa mémoire pour relater un voyage en train BONNET en 1938 (Auvergnat de Paris - Edition du Centenaire). Tout y est décrit, l’arrivée à Austerlitz, l’embarquement, les colis - notamment la valise contenant les provisions de bouches, indispensables pour “tenir le coup” pendant un peu plus de 500 km

    Ces trains facilitaient le retour au pays et contrairement aux premières générations “immigrants” qui ne revenaient qu’après de nombreuses années, souvent sans avoir pris un jour de repos. Les plus jeunes viennent “en vacances”, ce qui ne se fait pas toujours sans quelques accrochages avec parents ou amis. Car imbus de leur “supériorité de parisien”, ils s'ingénient à prendre un accent exagérément faubourien, on parle “pointu”. Je me souviens, et je ne suis pas le seul, d’un jeune, parti de son village natal (je ne dirai pas lequel) pour aller servir comme garçon de café à Paris, qui, à son retour, s'ingéniait à demander aux cabaretiers locaux des mélanges sophistiqués, étalant ainsi ses connaissances de spécialiste et espérant bien que dans ce bled, on ne puisse lui donner satisfaction. C’est d’ailleurs le même qui faisait en sorte de ne plus comprendre le patois. Mais un jour, s’étant aventuré dans un pré au moment de la fenaison, mit malencontreusement le pied sur les chevilles d’un râteau, qui, se redressant brusquement, vint le heurter violemment au visage : “Por de raster !” s'écrie notre pédant. Il venait d’un seul coup de retrouver à la fois son patois et ses racines. Ne généralisons pas, ils n’étaient pas tous comme ça.

    Jean Tournadre http://histoire-locale.chez-alice.fr/trains.htm


     
    Voir aussi
    >l'histoire de la ligne Bort-Neussargues en dates sur Carnet de Bort (milieu de page)
    http://www.carnetdebort.org/gentiane-express.htm

    >interview vidéo de Tristan Brohan, directeur d'exploitation du Gentiane Express
    http://www.aiguillages.eu/tag/gentiane-express 

     

    Zoom sur la construction du viaduc de Barajol

    A cause de la configuration du terrain, la construction métallique initialement prévue par les ingénieurs est abandonnée au profit d'un ouvrage en maçonnerie, utilisant les basaltes de la région.

    Lors de la construction du viaduc de Barajol, sur la commune de Saint-Amandin, on aménage une piste pour acheminer les matériaux. Le chemin dit “des wagonnets” (en bleu sur la carte) présente la particularité d'avoir un dénivelé très faible, car il faut que les chevaux ou les mules tirent les wagonnets remplis de pierres. 

    Dans "Le Triangle du Cantal" (tome 1 : Bort-les-Orgues/Neussargues), Patrick Garinot nous donne quelques éclaircissements sur cette piste. Dés l'adjudication (1902), une voie de service à l'écartement de 1 mètre et de 2,2 mètres de longueur fut construite entre l'emplacement du viaduc et la route de Condat à Riom-ès-Montagnes, à Chapsal (Sapchat) pour acheminer les matériaux. A l'origine de la voie de service fut ouverte une carrière de sable, et vers le milieu du parcours, on exploita une carrière de pierres de blocage (gneiss). Les moellons de basalte pour le parement furent extraits dans le massif de Lestampe et transportés au viaduc par deux plans inclinés et deux voies de service de 0.90m.

    Après 4 ans de travaux, le viaduc de Barajol (également appelé “de Lune Sèche”, du nom d'un autre toponyme local) est terminé au printemps 1907 sans qu'un seul accident mortel ne soit à déplorer. La ligne ouvre le 11 mai 1908 et est inaugurée le 5 juillet suivant par Louis Berthou, Ministre des Travaux Publics.

     

    A ce jour, le viaduc n'a subi aucune déformation, ni nécessité de travaux de rejointement. Depuis le 14 Décembre 1984, il est inscrit à l'inventaire des monuments historiques et demeure le second plus haut viaduc maçonné d'Europe ! 

    Le rail, facteur de développement touristique

    Le développement du tourisme dans le Cantal est lié à celui du thermalisme et du transport ferroviaire. Au XIXe siècle, les thermes sont en plein essor, plusieurs guides mentionnent la source et les eaux de Vic-sur-Cère qui sont froides (12°C), ferrugineuses, gazeuses, bicarbonatées et sodiques, et ont d'autant plus de succès que la Compagnie des chemins de fer d'Orléans construit une ligne ferroviaire et deux grands hôtels dont elle fait la promotion : l'un au Lioran, l'autre sur le versant sud qui domine la vallée. Le site naturel du Pas-de-Cère attise la curiosité des voyageurs.

    Mais focalisons-nous sur le pays de Riom-ès-Montagnes. Comme dans la vallée de la Cère, le tourisme doit son développement à l'arrivée du train en 1907. Voici quelques dates clé qui décrivent ce processus.

    2 décembre 1907 : le premier train arrive en gare de Saint-Etienne/Menet et de Riom-ès-Montagnes en provenance de Paris, via Bort-les-Orgues.

    11 mai 1908 : le premier train arrive en gare de Condat/Saint-Amandin, grâce à l'ouverture de la ligne Allanche / Riom-ès-Montagnes. Le pays de Riom-ès-Montagnes est désormais accessible depuis Paris et Béziers, respectivement via Bort-les-Orgues et Neussargues. C'est la Compagnie du Chemin de Fer d'Orléans qui gère la ligne. Il faut “moins de neuf heures” pour gagner la capitale !

    26 mai 1912 : la commune de Riom-ès-Montagnes édite son premier guide touristique.

    Février 1920 : le Syndicat d'initiative de Riom-ès-Montagnes voit le jour

    1921 : le Syndicat d'initiative de la vallée de Cheylade édite un guide touristique

    1924 : relance des foires grâce au chemin de fer. La plus célèbre est celle de la St Michel.

    1927 : le Syndicat d'initiative publie un nouveau guide touristique, dont voici le contenu intégral (merci à Stéphane Pouget de nous avoir transmis ce document rare via son blog) :




    Consulter le guide
    http://stephpaysgentiane15.skyrock.com/8.html
     
    http://stephpaysgentiane15.skyrock.com/9.html 
    http://stephpaysgentiane15.skyrock.com/10.html 


    La page de couverture (photo) parle de “cures d'air et excursions”. A l'époque, l'approche du tourisme est encore très orientée vers l'aspect médical, l'air pur ayant en effet des vertus curatives.

    Dans le guide, il est fait mention des nombreuses sources minérales “aux vertus curatives”, et notamment de celle de la Font Salée, qui fut commercialisée de 1898 à 1952 (1). Les autres curiosités mises en avant sont les édifices religieux, les sites archéologiques et le “musée Bourgeade des Planchettes”, les cascades et lacs comme celui “de la Grange” (étang de Majonenc); et une part belle est faite à l'histoire locale.

     

     

    (1) A propos de la Font Salée

    La source de la Font Salée, niché au creux de la commune d'Apchon, a un débit faible mais une curieuse histoire. Peu minéralisée et au goût neutre, elle porte donc mal son nom ! Toutefois, Deribier du Chatelet lui prêta des vertus inattendues pour les prsonnes souffrant "d'embarras gastriques" et de "pâles couleurs". A la fin du XIXe siècle, Emise Pigot, un restaurateur parisien, entreprit de la commercialiser sous le nom d'eau Saint- Eloy. Il eut l'autorisation requise en mai 1898. Mais l'exploitation n'était pas simple, car la source n'est accessible que par un chemin escarpé. Aussi, à peine l'eau recueillie et embouteillée, des ânes remontaient les caisses vers des lieux plus faciles d'accès où pouvaient partir les livraisons. Ce commerce cessa à l'orée de la première guerre mondiale et l'autorisation d'exploitation fut retirée en 1952, en raison de l'accès contraignant, de l'altitude, et aussi du faible débit de la source : 1,3 L à la minute environ. Aujourd'hui, la source et son bassin ont été restaurés et l'eau qui jaillit garde, sans nul doute, ses propriétés.

     

    Sources : Office de tourisme du Pays Gentiane, stephpaysgentiane15.skyrock.com, carnetdebort.org


  • Commentaires

    1
    visiteur_Lightman/ T
    Dimanche 27 Mai 2007 à 11:55
    Bravo pour cet article, j'ai appris plein de choses ! Ca m'a rappel?uelques souvenirs de neussarguais... Quand j'?is gamin, la gare grouillait de monde et occupait plusieurs dizaines de cheminots, quand le buffet de la gare ?it encore ouvert et que s'y pressaient les jeunes du pays... Enfin, bon ne soyons pas nostalgiques...
    2
    anthony44
    Vendredi 31 Août 2007 à 17:55
    C'est vrai que Neussargues ?it tr?actif dans le temps, parce qu'aujourd'hui ?a bien chang?.
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